Green guidance ? : « écoblanchiment » tendance ou changement de paradigme ?

J’étais concentré sur une activité comptable assez nouvelle pour moi, je le concède : chercher à apprécier l’impact environnemental d’un potentiel déplacement loin de mon domicile pour assurer une conférence ; et comparer avec les autres options : webinaire, article, enregistrement de vidéos. La seule conclusion claire sur laquelle je m’étais arrêté pouvait s’exprimer ainsi : ne rien faire était ce qui était le moins nuisible, ce qui garantissait un impact faible (si ce n’est peut-être le coût de la déprime potentiellement associée au renoncement à tout !). J’en étais là de mes réflexions, comptant et recomptant sur mon smartphone, lui-même très dévoreur d’énergie et de réseau, réchauffeur de déserts …quand je reçus via ma messagerie électronique (un gâchis d’énergie aussi !) un message de mon ami Tomas, lui aussi branché sur les questions d’accompagnement des transitions professionnelles. Il évoquait la Green Guidance, en y joignant l’article de Peter Plant publié en 2014, et me sollicitait pour savoir si j’avais des contacts professionnels qui travaillaient en France sur ce sujet. Peter Plant, référence pour les professionnels européens de l’orientation, avait déjà écrit dès 1998 des articles sur les liens entre orientation et écologie. Sa vie personnelle en est aussi l’illustration. Il dirigeait au moment de la publication de son article avec sa femme une ferme écologique ainsi qu’une petite librairie d’occasion dans la région rurale dans laquelle ils vivaient. Cela me remettait en mémoire le colloque organisé en 2022  par l’INETOP au CNAM sur Orientation et justice sociale où les conceptions de Peter Plant apparaissaient, présentées ainsi : « L’approche de « l’orientation verte » développée par Peter Plant (2014) vise à imaginer des méthodes et pratiques promouvant la justice environnementale : d’une part en conduisant les individus à une prise de conscience des impacts sur l’environnement de leurs choix professionnels, d’autre part en amenant les conseiller·ères à veiller à ce que les parcours de formations envisagées pour les individus contribuent à la préservation de l’environnement. Il serait important de considérer désormais la réussite professionnelle en termes environnementaux et sociaux et pas seulement en termes économiques ». Ce qui m’avait frappé dans cette formulation, c’est la multiplicité des questionnements soulevés et leurs impacts possibles à la fois sur la conception des vies professionnelles mais également sur les enjeux et finalités de l’accompagnement des personnes.

Hasard des lectures, je venais de lire et relire le manifeste publié par Cynthia Fleury et Antoine Fenoglio : Ce qui ne peut être volé : la charte du Verstholen et j’essayais d’appliquer les principes de cette charte aux activités d’accompagnement et de conseil avec l’idée de développer la notion d’accompagnement furtif, traduction possible de Verstholen en français. Simultanément, Courrier international publiait dans la foulée un Hors-Série « Climat : le temps de l’action ». Alors même que je venais de lire un article édifiant sur les objectifs de la loi de programmation militaire et les questions d’investissement dans les armes. Décidemment, difficile de ne pas brasser les paradoxes !

Alors Green guidance ? Une manière de se donner bonne conscience en changeant de couleur, en travaillant sur le packaging du service ? Ou point d’appui structurant à des évolutions possiblement durables. Avec une question redoutable que je me posais pour les enfants à venir : que voudra dire réussir sa vie professionnelle dans le monde qui vient ? Avec le sentiment que l’on ne prend pas la mesure des multiples impacts associés et de leurs conséquences en termes de choix individuels (voire de dilemmes) mais également de politiques publiques et de choix de développement économique ( et autre).

Par ailleurs, le nombre de questions soulevées et les multiples facettes à explorer n’étaient pas compatibles avec le format d’un article blog. J’ai décidé alors de me concentrer sur trois sujets :

  • Le monde du travail (emplois, métiers, contextes de travail, entreprises) pour chercher à analyser comment cette dimension est prise en compte
  • Les parcours professionnels et les carrières : quel est l’impact des préoccupations environnementales sur la conception des vies professionnelles ? Quelle place de la réussite individuelle au regard des enjeux collectifs et planétaires ?
  • L’accompagnement des personnes : quelle prise en compte des enjeux climatiques dans l’activité de conseil et d’accompagnement des personnes dans leurs décisions professionnelles : quels concepts sous-jacents ? Quels impacts éthiques ? Comment articuler souci de justice sociale et préoccupations environnementales ? Quelles conséquences en termes d’outils et de méthodes ?

Ce premier article blog a pour fonction de poser la problématique que nous explorerons de manière plus approfondie, notamment les impacts en termes de pratiques professionnelles, dans des articles blogs à venir.

En introduction, Green Guidance : de quoi parle-t-on ?

D’abord un premier constat formulé ainsi dans le résumé de l’article : Avec le réchauffement global et les problématiques environnementales, de nouveaux concepts en orientation sont nécessaires pour revisiter les théories et les pratiques traditionnelles individualistes du développement de carrière. …. L’Orientation verte propose d’élargir la perspective du choix de carrière : quel est l’impact environnemental d’un parcours professionnel individuel ? L’orientation a besoin d’un remaniement, d’une nouvelle approche. »  Mais ce qui est interrogé en arrière-plan, ce n’est pas uniquement la question d’une économie plus respectueuse de l’environnement, c’est aussi la question des modèles de développement dominants. Il poursuit : « Les objectifs sociétaux de l’orientation qui, jusqu’à maintenant, dans de nombreux pays, n’ont concerné́ que les parcours individuels, au travers, par exemple, de la baisse de l’abandon scolaire, de l’augmentation de l’employabilité́, de la compétitivité́ internationale ou du plein-emploi. Ces objectifs, bien que louables, sont orientés par une vision individualiste étroite et par une adhésion à la croissance économique, sous couvert de cohésion sociale.

Alors sans aller plus loin, et en replaçant ces propos dans le contexte dans lequel nous sommes aujourd’hui (pandémie, instabilités et injustices sociales, conflits multiples et destructeurs), quelle place peut prendre cette notion de Green Guidance qui ne soit pas réduite à une simple réécriture des mêmes process ou à la création d’un énième label dont les effets sont toujours à questionner ? Et qui puisse d’articuler avec les possibilités de développement de pouvoir agir de chacun, en les orientant du côté du bien commun et pas seulement de l’héroïsme individuel : on connaît les dérives possibles de l’empowerment : une possible justification des inégalités par le culte de « l’entrepreneuriat de soi ».

  1. Quels impacts sur le monde du travail ?

Métiers verts et « verdissement » des métiers

Un premier axe de réflexion renvoie aux impacts des enjeux de la transition écologique sur les métiers (exemple d’information grand public ici), soit en termes de transformation de ces métiers soit de création de nouveaux métiers. II s’agit alors plutôt de sensibiliser le public à ces transformations en ciblant par exemple sur des secteurs qui se développent liés à cette transition : par exemple les énergies renouvelables ; le secteur des transports terrestres sobres ; le secteur de l’efficacité énergétique des bâtiments.

On voit bien qu’il y a deux dimensions à distinguer : des métiers verts qui visent à anticiper, contrôler, et corriger les impacts négatifs de nos activités sur l’environnement ; et des métiers (ou plutôt des emplois) déjà existants qui doivent intégrer de nouveaux principes pour évoluer vers un impact moindre sur les ressources de l’environnement (par choix, nécessité ou contraintes règlementaire). Et une question nous vient tout de suite : et les autres métiers alors ? Peut-on les classer ? On se souvient tous du débat sur les activités dites essentielles pendant le confinement ? Et de ces « Bullshits jobs » rendus célèbres dans l’ouvrage de David Graeber ? Puisqu’on aime les catégories, peut-on qualifier les métiers en termes d’impacts ? Avec un « Écoscore » par exemple qui pourrait éclairer le public sur le côté plus ou moins vert du métier ? On voit vite, en posant la question, qu’elle en ouvre d’autres. Les métiers sont exercés d’une certaine façon dans des environnements donnés. Les impacts sont toujours à apprécier dans une situation donnée : ainsi un agent d’exploitation forestière peut, en fonction de la nature de son activité et la manière dont il l’exerce, être un défenseur de la biodiversité et avoir un impact environnemental très faible dans la mesure où il peut prendre soin des forêts. A l’inverse, un chargé de mission RSE d’une entreprise peut se trouver dans un environnement où les contraintes de productivité ne lui permettent pas d’exercer sa mission dans de bonnes conditions. Ce ne sont donc par les métiers en tant que tel qui peuvent être catégorisés selon leur impact mais plutôt la manière dont le métier peut être exercé, par un professionnel singulier, dans un environnement plus ou moins propice au respect de ces principes.

Du côté des entreprises : quelles transformations à venir ?

Alors, si on s’intéresse aux conditions d’exercice du travail, comment l’entreprise se saisit (ou pas) de ces questions ? Une publication très éclairante du CEREQ « Normes environnementales : quels effets sur le travail et la formation ? » donne des indications sur la complexité du sujet. « Ecolabel, HQE, ISO… derrière ces termes techniques se cachent l’ensemble des démarches, labels ou certifications visant à inciter les entreprises à produire sans détruire l’environnement. » …. « Les préoccupations environnementales des entreprises apparaissent dans les travaux de prospective déployés par les branches professionnelles en concertation avec l’État, et devenus une obligation légale, ou encore dans les démarches RSE ». Dans l’étude, on note qu’environ un salarié sur 10 a vu son activité modifiée en 2019 ; et que les entreprises plus formatrices sont plus ouvertes aux normes environnementales. Sans aller plus loin, on perçoit un mouvement important mais encore multiforme, hétérogène et sans doute peu lisible pour le public en interrogation sur son évolution professionnelle.

  1. Quels impacts sur les parcours professionnels et les carrières ?

Au moment où je termine cet article, le comité de pilotage ministériel sur l’adaptation au changement climatique travaille sur des scénarios de référence, dont l’un pessimiste se traduirait par un réchauffement de 4 °en 2100. Cela fait écho à l’article de Peter Plant qui écrit en 2005 : « Ce que les gens font de leur vie professionnelle compte maintenant peut-être plus que jamais : produisent-ils des armes à feu ou des pompes à eau pour l’irrigation ? La nécessité́ de suivre cette direction est globalement évidente : pollution, surconsommation dans certaines régions et manque de denrées essentielles dans d’autres, pression due à la raréfaction de l’accès à l’eau, pêche excessive, réchauffement global, trous dans la couche d’ozone – la liste est sans fin. ». On voit aussi la complexité du sujet : les impacts sur l’environnement peuvent renvoyer à plusieurs facteurs : ce qu’on produit (un bien ? un service ?) ; Pour qui ?  Comment on le produit ? Dans quel contexte ? Avec quelles finalités ? …les questions sont vertigineuses mais ont toutes un dénominateur commun : quels impacts en termes de justice sociale et d’impact climatique ?

Sans aller plus loin, on peut noter que la valorisation permanente de la réussite et de la responsabilité individuelles, peuvent amener chacun à se dédouaner d’une responsabilité mutuelle (prendre soin du bien commun). Souvent réservés à la sphère personnelle, hors travail, les impacts des vies professionnelles relèvent souvent de la décision individuelle, des valeurs voire des croyances que nous portons. N’est-il pas temps d’explorer la proposition de Peter Plant, sans dogmatisme et avec des travaux documentés lorsqu’il affirme : « Les choix professionnels, aussi individuels qu’ils puissent être, ont des implications au-delà̀ de la personne, spécialement quand ils sont reliés à des objectifs plus globaux d’égalité́ sociale… ». La période covid a fait émarger ces questionnements notamment pour les soins aux personnes mais plus largement sur la question du sens de l’activité humaine. On connaît déjà les hostilités et polémiques à venir. Pourtant, si l’on interroge la possibilité de permettre le développement du pouvoir d’agir de chacun (en référence aux concepts de capabilité d’Amartya Sen), on semble avoir en partie laissé de côté la dimension communautaire, ce qui nous lie aux autres et au monde. Sur ce plan, le questionnement des vies professionnelles et de leurs impacts environnementaux n’est pas un sujet traité directement : il l’est plutôt par le prisme de l’individu et de ses choix. N’y a-t-il pas un espace de réflexion à élargir afin que la Green Guidance ne se réduise pas à l’affichage du nombre d’arbres plantés en une année !

  1. Quels impacts du côté du conseil et de l’accompagnement des personnes ?

On mesure à travers les éléments précédents à quel point les questions ouvertes sont nombreuses ? Quelles conceptions de l’orientation peuvent intégrer ces dimensions-là ? Qu’est-ce qu’elles modifient des approches centrées sur l’individu développées depuis plus d’un siècle ? Plus largement, cela nous oblige à penser le développement de carrière et les critères de réussite individuelle dans une perspective plus holistique, plus large où la préoccupation de soi n’est jamais totalement dissociable du souci des autres ; où ce qui m’arrive à moi en tant que sujet n’est pas indépendant de ce qui me lie au monde commun. Face aux bouleversements actuels et imprévisibilités à venir, au constat de notre interdépendance, la peur et l’inquiétude nous guettent. Or, dans un monde de la suspicion et de la défiance, c’est sans doute de confiance dont nous avons besoin. Mais pas seulement individuelle. La confiance ne peut exister « sans une communauté de destin » dit Cynthia Fleury. Et l’interdépendance peut aussi être vue comme ce qui nous lie et pas uniquement comme ce qui nous divise.

Ces questionnements que nous développons, ils sont déjà ouverts et explorés partout. De nombreux travaux internationaux sont publiés. Nous y reviendrons. On peut citer Le programme développé́ par le réseau Unitwin UNESCO : Interventions en Life Design (Conseil, Orientation, Éducation) pour le travail décent et le développement durable mobilisant 20 partenaires internationaux dont l’INETOP du Cnam. Mais sur ces questions de conseil en orientation et d’accompagnement des personnes, qu’en pensent les professionnels ? Que font-ils au quotidien sur ces questions d’impacts environnementaux ? Les prochains blogs à venir pourraient être aussi alimentés par le travail de professionnels.

Alors, en écho au questionnement initial de Tomas, je me suis dit qu’un bon moyen pour savoir qui travaillait sur le sujet, c’était d’envoyer une bouteille à la mer avec message (technique assez frugale et à faible impact environnemental, non ?). Nous pourrions partager des idées et initiatives développées en France mais plus largement en Europe. Et c’est ainsi que je voulais conclure : je mettrais en ligne très prochainement sur la plateforme Epale une proposition de communauté d’échange autour de la Green Guidance : l’orientation verte !

Car, vous l’avez compris, l’enjeu nous dépasse. Mais cela ne nous empêche pas de passer à l’action.

A bientôt de vous lire !

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