Accompagnement et orientation soutenable : comment aborder le thème de la soutenabilité

Sur ce site, vous trouverez quelques réflexions concernant différentes thématiques, telles que :

Si cela peut donner de premières clés dans l’accompagnement des bénéficiaires autour des questions de soutenabilité, reste LA question des praticiens que nous sommes : comment nous, professionnels de l’accompagnement, pouvons-nous aborder les questions liées à la soutenabilité sans provoquer de confusion, d’anxiété ou de résistances ?

Nous vous partageons là quelques idées concrètes et facilement applicables dans votre pratique quotidienne, inspirées de nos réflexions au sein du Lab Green Guidance et aussi en coopération avec des collègues du projet Exploring Green Guidance.

  1. Expliciter clairement votre démarche

Dans un souci de transparence, vous pouvez informer vos bénéficiaires dès le début de l’accompagnement des spécificités de votre approche, lors de la phase de contractualisation ou de présentation de votre rôle et de vos services par exemple.

Cela peut prendre la forme suivante et sans doute trouverez-vous une formule mieux adaptée à votre public : « Mon approche de l’accompagnement inclut dans la réflexion professionnelle la question de la soutenabilité, sur le plan environnemental et sociétal. Si cela résonne avec vos préoccupations, nous pourrons aborder ce sujet lors de notre travail ensemble. »

Si la demande concerne une réorientation professionnelle, vous pourriez dire : « Je m’intéresse particulièrement aux questions liées à la soutenabilité, aux métiers verts et aux opportunités offertes par la transition écologique. Si c’est un domaine qui vous intéresse, nous pourrons l’explorer ensemble. »

En partageant ouvertement votre démarche, vous permettez dès le départ la possibilité d’aborder l es questions de soutenabilité, de percevoir la réaction du client et éventuellement d’identifier un sujet qui pourrait être présent de manière latente ou implicite dans ses choix de carrière.

Comme l’explique Shékina Rochat dans cet entretien, dès l’accueil, on peut déjà faire passer un message implicite : par exemple, par le lieu lui-même (une affiche en lien avec la soutenabilité dans la salle d’attente, ou si on sert de l’eau dans des verres en verre plutôt que dans du plastique).

  1. Questionner les valeurs et le sens

Aborder la questiondes valeurs fait souvent partie intégrante des process d’orientation et d’accompagnement professionnel. Cette pratique est particulièrement utile pour faire le lien entre la situation du bénéficiaire, ses aspirations et la question de la soutenabilité.

Rares sont les bénéficiaires qui évoquent spontanément leurs valeurs. Or ce point est fondamental pour faire émerger des critères tacites ou latents qui influent sur leur prise de décision et orientent leurs choix.

Pour aborder la question des valeurs de manière accessible, l’approche de l’Ikigai peut être proposée. Ce concept, issu de la philosophie japonaise, signifie « raison de vivre » ou « raison d’être » et invite à donner un sens à sa vie en englobant des dimensions plus larges que la seule sphère professionnelle. Il pose 4 questions, que sont :

  • « Qu’est-ce que j’aime dans la vie ? »
  • « Pour quoi suis-je douée ? »
  • « Pour quoi pourrais-je être payée ? »
  • « De quoi le monde a-t-il besoin ? »

C’est ce dernier point qui va particulièrement nous intéresser dans ce contexte, car il permet d’élargir la perspective de la personne au-delà de ses besoins personnels vers ceux de sa communauté et du monde – vous pouvez expérimenter et renverser l’ordre des points et commencer par la fin pour encourager cette décentration. Voici quelques questions complémentaires qui peuvent venir soutenir la réflexion du bénéficiaire :

  • Quels problèmes ou défis du monde vous touchent émotionnellement ?
  • Quels aspects du monde actuel vous irritent ou vous préoccupent ?
  • À quoi ressemblerait le monde idéal que vous souhaitez pour les générations futures ?
  • Quels problèmes aimeriez-vous contribuer à résoudre dans votre communauté ou au-delà ?
  • De quelles valeurs avez-vous hérités et aimeriez-vous transmettre à votre tour ?
  • Quelle empreinte souhaitez-vous laisser sur cette planète ?
  • Quel type de travail me rend fier·ère ou utile dans ma communauté ?
  • À quels besoins répondent les biens ou services que je produis ?

Ces réflexions peuvent ensuite être traduites en actions concrètes : « Quels secteurs, structures ou opportunités d’emploi répondent à ces aspirations ? Où les trouver ? Comment créer ces opportunités si cela ne semble pas exister encore ? Quels engagements associatifs ou bénévoles peuvent venir enrichir votre quotidien ? ».

  1. Utiliser un langage adapté

Nous connaissons les grandes familles de valeurs humaines (bienveillance, conformité, réussite, universalisme, tradition, sécurité, etc.) qui structurent nos choix et varient selon les expériences, la culture et les aspirations. Si la soutenabilité est souvent mise en lien avec des valeurs d’universalisme ou de bienveillance, elle peut aussi résonner autrement : une personne attachée à la sécurité ou à la tradition pourra s’inquiéter des risques liés au manque d’eau ou à la disparition de paysages familiers. Certaines résistances peuvent exprimer d’ailleurs moins un rejet de l’écologie qu’une peur de perdre ce qui compte dans la vie quotidienne. Plutôt que de chercher à transformer les valeurs des individus, l’enjeu est de les reconnaître et de s’appuyer sur elles pour ouvrir une réflexion. L’accompagnement gagne en pertinence lorsqu’il part du monde vécu et des priorités de la personne, en identifiant des liens subtils vers la soutenabilité plutôt qu’en imposant le sujet de l’extérieur.

Pour faciliter ces échanges, un langage neutre utilisant des termes comme « nature », « terre » ou « planète » peut s’avérer plus propice que des mots tels que « écologie » ou « changement climatique », parfois politiquement chargés. L’objectif est de comprendre la vision du monde et les priorités de la personne accompagnée et ainsi mettre en évidence les liens entre sa situation et les questions de la soutenabilité.

  1. S’appuyer sur les prospectives pour élargir la vision du monde professionnel

La transition verte sur le marché du travail est une réalité qui concernera 8 millions d’emplois d’ici 2030.

En tant que professionnel de l’accompagnement, il peut être utile de poser des questions telles que « Votre métier actuel ou futur pourrait-il être affecté par la transformation verte ? » ou encore « Comment votre activité actuelle ou future pourrait-elle influencer notre environnement commun ? ». Cela doit toutefois se faire avec prudence, sans induire d’éco-anxiété, mais plutôt en favorisant une réflexion partagée.

L’objectif n’est pas d’inciter les bénéficiaires à s’orienter vers les métiers verts ou des formations directement liées à la transition écologique. Cependant, ces options peuvent être évoquées si elles semblent pertinentes dans la situation de la personne accompagnée.

Par ailleurs, il est possible de l’aider à réfléchir à comment « verdir » son activité actuelle. Une question simple pourrait être : « Quel petit geste pourriez-vous initier pour rendre votre travail plus respectueux de la planète et du Vivant ? ».

  1. Introduire la soutenabilité parmi les critères de choix

On a l’habitude de procéder à des choix de carrière, de formation ou d’employeur, au regard de facteurs « traditionnels » comme le salaire, les compétences ou les intérêts, qui ne dépassent que rarement l’horizon de l’individu. Pourquoi ne pas y ajouter la notion de soutenabilité ? Les habituelles grilles de critères ou listes de valeurs pourraient être enrichies de cette dimension. La personne accompagnée est ainsi libre d’intégrer ou non la soutenabilité dans ses priorités.

Loin de chercher à influencer, cette démarche vise à aider le bénéficiaire à prendre en compte tous les facteurs pertinents qui influencent le monde du travail et l’économie, élargir ses perspectives sans biaiser son choix ou limiter sa liberté individuelle. Ainsi, la soutenabilité devient un élément parmi d’autres pour éclairer une décision de carrière réfléchie et consciente.

En complément de ces réflexions, voici des exemples de questions pouvant ouvrir une discussion sur la soutenabilité dans l’orientation et l’accompagnement professionnel.

  1. Partir des préoccupations vécues pour ouvrir vers la soutenabilité

Aborder la soutenabilité ne signifie pas forcément commencer par parler d’écologie. Pour beaucoup de personnes accompagnées, les préoccupations les plus vives concernent d’abord l’épuisement, la perte de sens, la pression à la performance, le manque de reconnaissance, l’inégalité ou encore l’exploitation au travail. Ces expériences, souvent marquées par des situations de discrimination, de surcharge ou de burn-out, peuvent devenir des portes d’entrée vers une réflexion critique sur les représentations dominantes du travail (succès individuel, conformité, croissance à tout prix, compétition). À partir de là, il devient possible de relier ces vécus à des questions plus larges de soutenabilité et de justice sociale, en ouvrant la perspective d’un travail décent et porteur de sens. Le dialogue peut être stimulé par des questions prospectives et concrètes : « Quelles évolutions positives souhaiteriez-vous voir dans ce secteur d’ici dix ans, et comment pourriez-vous y contribuer ? » ou « Quels aspects de votre profession devraient évoluer pour mieux prendre en compte les enjeux environnementaux ? » De cette manière, la soutenabilité s’ancre dans l’expérience vécue tout en invitant à imaginer un avenir professionnel plus juste et durable. Il est aussi possible d’accompagner les personnes dans le développement d’une conscience critique: « Qui bénéficie lorsque je me pousse à aller plus vite ou à travailler plus dur ? Est-ce que cela me bénéficie réellement ? Quel est l’impact de mon travail sur la communauté, sur l’environnement, sur la planète ? À quoi ressemblerait ma carrière si je ne ressentais pas le besoin de “grimper les échelons” ? »


Réflexions sur les changements futurs du monde du travail

  • Vous avez mentionné être intéressé par le métier/domaine de …. Avez-vous réfléchi à la façon dont cette profession pourrait évoluer dans un avenir proche ? (Par exemple, en lien avec le développement de l’IA, le changement climatique ou la transition verte de l’économie.)
  • Nous savons que de grands changements nous attendent, provoqués par le développement technologique et la transformation écologique. Ces évolutions nécessiteront d’acquérir de nouvelles compétences, de repenser les modes de travail et de s’adapter à presque toutes les professions. Qu’en pensez-vous ? Quels sentiments cela suscite-t-il chez vous ?
  • Selon vous, quels sont les principaux facteurs qui influenceront l’avenir du travail ?
  • Quel impact le changement climatique et la soutenabilité pourraient avoir sur votre secteur d’activité ?
  • Comment pensez-vous que la transformation verte pourrait affecter votre employeur ou vous-même ?
  • Selon vous, pourquoi notre génération doit-elle s’adapter plus fréquemment dans sa vie professionnelle que celle de nos parents ? Comment imaginez-vous que cela évoluera pour la génération de nos enfants ?

Opportunités de la transformation verte

  • Quelles opportunités professionnelles percevez-vous dans la transformation verte ?
  • Quelles compétences estimez-vous nécessaires pour trouver un emploi dans l’économie verte ?
  • Comment pensez-vous que les opportunités d’emploi évolueront grâce à la transition écologique ?
  • Quels types de métiers ou professions pourraient disparaître selon vous, et pour quelles raisons ?
  • Connaissez-vous des entreprises ou organisations axées sur le développement durable ? Souhaiteriez-vous travailler dans ce type de structure ?
  • Quels effets positifs la transformation verte pourrait-elle avoir sur le métier qui vous intéresse ?
  • Quelles industries ou secteurs, selon vous, sont les plus dynamiques en matière de soutenabilité ou de transformation verte ? Cela vous intéresse-t-il ?
  • Imaginez-vous travailler dans un secteur directement impliqué dans la transition écologique ? Quels types de rôles vous sembleraient alignés avec vos compétences et vos aspirations ?
  • Quels nouveaux métiers liés à la soutenabilité pensez-vous pourraient émerger dans les prochaines années ? En voyez-vous dans votre domaine ?

Idées sur la soutenabilité

  • Que signifient pour vous la soutenabilité et la transformation verte, à titre personnel ?
  • Est-il important pour vous que votre employeur ou l’entreprise dans laquelle vous travaillez accorde de l’importance à la soutenabilité ? Pourquoi ?
  • Quand vous pensez à votre avenir professionnel, quel lien faites-vous entre votre impact sur l’environnement et votre épanouissement personnel ?
  • Quels modèles ou figures inspirantes associez-vous à des pratiques soutenables dans votre secteur ou votre communauté ?

Engagement personnel

  • Comment imaginez-vous pouvoir contribuer à la transformation verte dans votre travail ? Quel petit geste concret pourriez-vous poser pour rendre votre activité plus respectueuse de l’environnement ?
  • Selon vous, quels changements dans votre secteur ou profession auraient le plus grand impact positif sur l’environnement ? Comment pourriez-vous participer à ces changements ?
  • Quelles initiatives « vertes » dans votre secteur vous inspirent le plus, et pourquoi ?
  • Quels aspects de votre vie quotidienne ou de votre travail actuel reflètent déjà des pratiques soutenables ? Comment pourriez-vous les renforcer ?
  • Quelles compétences ou savoir-faire pensez-vous devoir développer pour contribuer à un monde plus soutenable dans votre domaine ?
  • Comment pourriez-vous mobiliser vos collègues ou collaborateurs pour adopter des pratiques plus soutenables au travail ?

Valeurs

  • Quelles sont les valeurs les plus importantes pour vous dans votre carrière ou votre vie professionnelle ?
  • Quelles sont valeurs dont vous avez héritées (de vos parents, professeurs, mentors…) et dont vous êtes fier ? Quelles valeurs aimeriez-vous transmettre aux générations futures ?
  • Quelle empreinte souhaitez-vous laisser sur cette planète ?
  • Si votre métier/fonction n’existait pas, qu’est ce qui manquerait a la société ?

Imaginer un monde plus soutenable

  • Si vous deviez imaginer un futur professionnel idéal, quel rôle la soutenabilité y jouerait-elle ?
  • Dans votre vie professionnelle idéale, quels changements aimeriez-vous voir autour de vous en lien avec la protection de la planète ou le bien-être collectif ?
  • Imaginez que votre secteur d’activité adopte une stratégie axée sur la soutenabilité. Comment pourriez-vous vous préparer à cette transition ?
  • Quels changements positifs voudriez-vous voir dans votre secteur d’ici 10 ans ? Comment pourriez-vous y contribuer ?
  • Si vous deviez imaginer votre carrière comme un moyen de laisser une empreinte positive sur le monde, à quoi ressemblerait-elle ? Dans 20 ans, que souhaiteriez-vous pouvoir dire de votre contribution personnelle à un avenir soutenable ?
  • Quel genre de monde aimeriez-vous construire pour les générations futures ?

Projeter l’impact d’une profession sur la planète et la société

  • Si vous deviez évaluer l’impact environnemental ou social d’une journée type dans votre travail, que diriez-vous ?
  • Quels sont les aspects de votre profession ou secteur qui, selon vous, devraient évoluer pour être plus respectueux de l’environnement ?
  • Comment pourriez-vous utiliser vos talents ou vos connaissances pour répondre à des besoins du monde comme la crise climatique ou la justice sociale ?

Les défis et les besoins du monde

  • Selon vous, quels sont les plus grands défis auxquels les entreprises sont confrontées aujourd’hui ?
  • Quels problèmes / défis du monde ou défis vous touchent le plus émotionnellement ? Quelles injustices ou problématiques vous irritent ou vous préoccupent ?
  • À quels problèmes du monde, de la société ou de votre communauté aimeriez-vous contribuer ?
  • Quel changement aimeriez-vous apporter au monde ?
  • Quelles entreprises, opportunités d’emploi ou idées entrepreneuriales pourraient être liées à vos aspirations ? Comment pourriez-vous les explorer ?

Remarque : Certaines parties du texte sont basées sur l’article Réflexions sur les enjeux éthiques dans la green guidance initialement publié dans le NICEC Journal. Des exemples de questions de la méthode IKIGAI sont inspirés par Yolande Geyer, une partie des questions ont été conçues par un groupe norvégien de conseillers d’orientation et d’accompagnement dans le cadre des activités du projet Exploring Green Guidance, cofinancé par l’Union européenne.

Image: Noemi Dolciotti